- vous êtes sur : Information
- Actualités
- Actus de l'Artac
Comment naissent vraiment les maladies ? Cancer, maladie d’Alzheimer, diabète, allergie
La pollution serait responsable de l’épidémie de cancers et l’explosion de toutes les grandes maladies de notre siècle. Le cancérologue Dominique Belpomme, après dix ans de recherche, en fait la démonstration dans son nouveau livre. Pour lui, des solutions existent pour se prévenir de ces fléaux.
Vous affirmez qu’il faut chercher la cause de nos maladies dans l’environnement que nous ne cessons de dégrader.
« Il y a 20 ans, lorsque j’étais chercheur à l’Institut de cancérologie et d’immunogénétique (ICIG), à Villejuif, l’origine chimique, physique (rayonnements et particules) ou virale des cancers n’était pas contestée. Cela ne faisait aucun doute, au sein de la communauté médico-scientifique de l’époque, que les cancers étaient d’origine environnementale.
D’ailleurs, depuis la fin du XVIIIème siècle, on savait que les produits chimiques contenus dans la suie étaient capables de provoquer des cancers chez les petits ramoneurs. Un chirurgien anglais, Percivall Pott, avait en effet montré que ceux-ci faisaient des cancers du scrotum à force de se frotter contre la suie des conduits de cheminées. Au début du XXème siècle, après la découverte de la radioactivité et des rayons X, l’absence de protection vis-à-vis de ces rayonnements s’était soldée par l’apparition de cancers radio-induits. D’ailleurs Marie Curie n’est-elle pas morte, elle-même, d’une leucémie aigue, parce qu’elle n’avait pris aucune précaution pour se protéger du radium qu’elle avait découvert ? En 1966, un biologiste américain, Peyton Rous, a été récompensé par le prix Nobel pour avoir isolé le premier virus cancérigène. Tout le monde était donc d’accord. »
Que s’est-il passé pour que l’origine environnementale des cancers soit aujourd’hui remise en question par le discours médical officiel ? Le nombre de cas de cancers n’a pourtant pas cessé d’augmenter entre 1980 et 2012 ?
« Les épidémiologistes ont isolé des facteurs de risques individuels (tabagisme, alcoolisme, déséquilibre du régime alimentaire, etc.) créant une confusion avec les causes réelles des cancers. Si le tabagisme est un facteur de risques favorisant l’apparition des cancers, il n’en est pas une cause directe. Ce sont les dizaines de substances cancérigènes présentes dans la fumée et les goudrons résultant de la combustion du tabac, qui le sont. Bien que l’identification de tels facteurs de risques puisse être utile en termes de politique de santé publique, cette démarche de déresponsabiliser les pouvoirs publics a pour effet pernicieux de négliger les véritables causes de l’affection. Or la confusion s’est installée peu à peu dans la société. On a renvoyé la balle dans le camp des citoyens en leur disant : ne fumez plus, ne buvez pas d’alcool, mangez équilibré et vous n’aurez pas de cancer. Le tabagisme et l’alcoolisme ont diminué et pourtant l’incidence des nouveaux cas de cancers ne cesse d’augmenter, alors que la mortalité peine à diminuer. On ne peut donc pas affirmer que les différents « plans cancer » aient été des succès.
Dire que les causes des cancers sont environnementales, c’est plus difficile que du temps de Pasteur qui affirmait, dans sa fameuse théorie des germes, que les infections n’étaient pas causées par des miasmes comme on le pensait à l’époque, mais par des microbes naturellement présents dans l’environnement. Aujourd’hui, la difficulté tient au fait que pour le cancer, comme pour les autres pathologies, cela revient à remettre en question nombres d’activités humaines. Il y a pourtant urgence, car selon l’OMS, les différentes pandémies mondiales ne concernent pas seulement le cancer. »
Depuis cinquante ans, la pollution environnementale est très probablement la cause de l’explosion des pathologies telles que cancer, diabète, obésité, cardiopathies, Alzheimer et chez l’enfant, malformations congénitales et autisme.
En 2004, vous alertiez déjà, dans un livre et à travers l’Appel de Paris, sur les dangers sanitaires de la pollution chimique. Qu’est-ce que ce livre apporte de nouveau ?
« Dans mon premier livre publié chez Albin Michel en 2005 et intitulé Ces maladies créées par l’homme, j’avais restreint mon analyse au cancer en le prenant pour modèle et en me basant sur les données scientifiques que je possédais alors. Dans mon nouveau livre, j’étends cette analyse à l’ensemble des pathologies d’après de nouvelles recherches. Les données actuelles conduisent en effet à un véritable tournant dans la pensée médicale. Il ne s’agit pas d’une conviction soudaine tombée du ciel, mais de faits réels, démontrés au plan scientifique.
Mon nouvel ouvrage est le fruit de dix années de recherches entreprises par mon équipe de l’ARTAC (Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse). Il fait la synthèse de la trentaine d’articles que nous avons publiée dans des revues internationales à comité de lecture et de près de 3 000 articles scientifiques en provenance de nombreuses équipes dans le monde. L’hypothèse que nous avions formalisée en 2004 n’est plus. Il s’agit désormais d’une théorie validée scientifiquement et applicable à l’ensemble des grandes pathologies.
Depuis cinquante ans, la pollution environnementale est très probablement la cause de l’explosion des pathologies telles que cancer, diabète, obésité, cardiopathies, Alzheimer et chez l’enfant, malformations congénitales et autisme ; ce qui conduit chez lui comme chez l’adulte à des handicaps de toute nature.
Quand le discours ambiant affirme que la maladie d’Alzheimer est limitée aux gens âgés, qu’il s’agit d’une maladie de la vieillesse et donc qu’on n’y peut rien, autrement dit qu’il faut bien mourir de quelque chose… c’est une imposture ! La maladie concerne maintenant tous les âges, y compris des adultes et même certains jeunes. Tel est le cas d’un adolescent de 15 ans ayant dormi pendant 4 à 5 ans avec son téléphone portable allumé sous son oreiller et qui, atteint de confusion mentale, ne pouvait plus trouver la porte d’entrée de mon cabinet de consultation. Heurtant les murs, il n’aurait pas su sortir si sa mère ne lui avait tenu la main ! Le cancer n’est pas non plus une maladie de la vieillesse. Même s’il est exact que, de façon générale, nombre d’affections ou maladies liées à l’environnement surviennent souvent chez des sujets âgés, ce n’est pas le vieillissement tissulaire qui est principalement en cause, mais la durée d’exposition à ces facteurs.
Il ne s’agit pas d’une conviction soudaine tombée du ciel, mais de faits réels, démontrés au plan scientifique.
Pourquoi votre discours est-il si peu audible ?
« Il n’existe aujourd’hui aucune controverse, aucune attaque de la part des chercheurs ou des institutions scientifiques à l’encontre de la théorie environnementale que j’ai proposée. Cette théorie concerne la très grande majorité des pathologies de notre temps. L’opinion publique commence à être sensibilisée à la question. Mon nouveau livre est un succès de librairie [10 000 exemplaires vendus ndlr]. Aujourd’hui, l’opposition pourrait venir du monde politique et des industriels. Et pourtant régler les problèmes de santé en utilisant le concept actuel, qui est de ne s’occuper des affections et maladies qu’une fois qu’elles sont apparues, autrement dit ne pas prévenir et restreindre la pratique médicale aux soins, ne peut que nous plonger dans un déficit financier qui sera bientôt intenable. La Sécurité sociale ne pourra plus prendre en charge à 100 % les affections ou maladies d’aujourd’hui, car celles-ci sont devenues de véritables fléaux. Cela a d’ailleurs déjà commencé. Par exemple, la plupart des malades atteints d’hypertension artérielle chronique ne sont plus pris en charge en tant qu’ALD [affection longue durée] par la Sécurité sociale. Et que dire des deux cents à trois cents nouvelles maladies « rares » de l’enfant qui apparaissent chaque année dans le monde. La médecine est ici face à un mur au plan des traitements. Notre politique de santé est ubuesque. Pourtant on ne doit pas se décourager. Mon message commence à être entendu : en octobre prochain, il est prévu un cycle de conférences en Belgique sur cette thématique dont une se fera au Parlement européen. L’origine environnementale de la plupart des maladies et affections ne fait plus de doute au plan scientifique. Et cela d’autant plus que l’inflammation et, au plan moléculaire, l’épigénétique, en sont le mécanisme explicatif. »
L’épigénétique est au cœur des relations entre nos gènes et l’environnement. Sa mise en évidence constitue une véritable révolution copernicienne par rapport à la génétique classique.
Comment un polluant peut-il nous rendre malade ?
« L’inflammation chronique est le processus central qui permet d’expliquer la formidable augmentation d’incidence des pathologies telles que nous l’observons aujourd’hui. À l’origine des maladies, on met toujours en évidence une inflammation dont on sait qu’elle est provoquée par les agents toxiques présents dans l’environnement. Et cela même pour le cancer qui est un modèle particulier puisqu’à l’inflammation s’ajoute l’existence quasi constante de mutations au niveau de l’ADN. Il ne s’agit pas de l’inflammation aiguë telle qu’on l’a décrite en réaction à une infection, et qui se manifeste par les quatre signes cardinaux connus depuis l’Antiquité : chaleur, rougeur, douleur, tuméfaction.
Ici c’est d’une inflammation froide, chronique, en réalité purement biologique qu’il s’agit, et qui est qualifiée de « bas grade » pour cette raison. Sous l’influence des polluants environnementaux qui ont pénétré le corps, celle-ci touche les différents tissus de l’organisme : les muscles, le tissu graisseux, les poumons, le système nerveux, etc., et se manifeste par la survenue progressive, apparemment inexpliquée, des affections et maladies. L’arthrose, qui survient très fréquemment chez les personnes âgées, mais aussi de plus en plus chez des sujets jeunes, est un excellent exemple illustrant ce qu’est l’inflammation de bas grade et comment elle évolue. Ici ce sont les cartilages, les articulations, les tendons et les muscles qui sont atteints progressivement, en l’absence de toute manifestation aiguë, sauf lorsque surviennent des épisodes de tuméfactions douloureuses, les classiques « poussées inflammatoires ».
L’inflammation de bas grade est en réalité un processus secondaire. Elle est liée à l’expression anormale de certains gènes quand les cellules de l’organisme sont soumises à des agents toxiques présents dans l’environnement. Cette expression anormale s’explique au plan moléculaire par des mécanismes épigénétiques. L’épigénétique est au cœur des relations entre nos gènes et l’environnement. Sa mise en évidence constitue une véritable révolution copernicienne par rapport à la génétique classique. L’épigénétique rend compte des mécanismes moléculaires qui, sous l’effet de l’environnement, modifient dans la cellule le fonctionnement de nos gènes sans en altérer cependant la structure.
On a pu mettre en évidence un enchaînement moléculaire causal initié par les toxiques environnementaux (produits chimiques, nanoparticules, rayonnements, microbes). Ceux-ci modifient l’épigénome – l’ensemble des protéines cellulaires dans la cellule – en créant des épimutations, lesquelles sont à l’origine de modifications de l’expression des gènes. Or on sait maintenant que de telles modifications conduisent à la synthèse de protéines proinflammatoires, celles-ci étant à l’origine d’une inflammation de bas grade. Il en résulte l’existence d’un lien toxicologique et biologique causal entre la dégradation de l’environnement et l’émergence des pathologies de notre temps, que le grand savant René Dubos avait déjà qualifié de « maladies de civilisation ». »
On sait désormais que l’altération du microbiote intestinal par des polluants chimiques peut contribuer à la genèse de certaines affections et maladies.
La flore intestinale (le microbiote) joue aussi un rôle important dans ce mécanisme de l’inflammation et peut aussi contribuer à l’émergence des maladies.
« Jusqu’à maintenant, on considérait que les maladies étaient uniquement causées par un dérèglement des cellules de notre corps. En fait, il y a dans notre organisme, en particulier dans notre intestin, dix fois plus de bactéries que de cellules. Ces bactéries se trouvent aussi sur la peau, dans les cavités buccales et vaginales. On connaissait le microbiote depuis plusieurs dizaines d’années, mais la découverte de son rôle en complément ou en addition de ce qui se passe dans les cellules est très récente. On sait désormais que l’altération du microbiote intestinal par des polluants chimiques peut contribuer à la genèse de certaines affections et maladies. Nous avons identifié une molécule, probablement synthétisée par certaines bactéries du microbiote, et qui serait à la fois responsable de certains cancers et du diabète. »
Quels sont les seuils de pollution qui provoquent ces maladies ?
« Il n’y a pas d’effet de seuil ; autrement dit des doses toxiques extrêmement faibles peuvent être délétères pour la santé. Pour les rayonnements comme pour les produits chimiques, ce n’est pas l’intensité de la dose qui est le poison, mais sa répétition. Ainsi, de petites doses répétées peuvent à la longue créer un cancer, ou une autre affection telle que diabète, obésité, Alzheimer, etc. On est dans le cadre d’une toxicité chronique. »
Nos confrères ont compris la sévérité des pathologies d’aujourd’hui, qui se manifestent sous la forme de pandémies silencieuses : on guérit certes un cancer sur deux, mais le diabète, l’obésité, la maladie d’Alzheimer, l’autisme sont des affections chroniques sévères, dont on ne guérit pratiquement jamais.
Tout est à revoir en matière d’exercice de la médecine. Les médecins ne sont pas assez formés en matière d’environnement. Ils sont incapables de répondre aux questions de leurs patients sur l’origine de leurs maladies. Mais alors que faut-il faire ?
« La nouvelle pratique que j’ai introduite est appelée « médecine environnementale ». Elle ne s’oppose pas à la médecine de soins actuelle. Elle en est un complément, ou plutôt en raison de son caractère prédictif et préventif, un moyen pour que les maladies n’apparaissent pas.
La prévention telle qu’on la promeut aujourd’hui, c’est-à-dire essentiellement à partir de l’étude des facteurs de risque (alcool, tabagisme, régime alimentaire) est insuffisante pour prédire et éviter les fléaux de santé publique actuels.
La médecine contemporaine fait de la pratique des soins sa priorité. Elle délaisse la prévention. La médecine environnementale analyse le cadre de vie familial et professionnel du malade en recherchant une éventuelle pollution de l’environnement. Surtout elle vise à détecter des dysfonctionnements moléculaires, précurseurs des maladies, grâce à l’utilisation de marqueurs biologiques et de nouveaux examens d’imagerie médicale que nous avons mis au point. On traite ainsi non seulement les effets, mais aussi et surtout les causes des maladies pour éviter qu’elles apparaissent.
Ce nouveau type de pratique médicale intéresse de plus en plus les médecins. Ceux-ci nous demandent d’organiser des formations. C’est ce que nous faisons sous la forme de cours intensifs deux à trois fois par an à Paris ou éventuellement à Bruxelles. Nos confrères ont compris la sévérité des pathologies d’aujourd’hui, qui se manifestent sous la forme de pandémies silencieuses : on guérit certes un cancer sur deux, mais le diabète, l’obésité, la maladie d’Alzheimer, l’autisme sont des affections chroniques sévères, dont on ne guérit pratiquement jamais. En outre, ces pathologies impliquent de prendre des traitements à vie ! Sans doute vaut-il mieux prévenir que guérir. C’est ce que recommandait déjà Hippocrate : Primum non nocere. C’est là l’objectif essentiel de la médecine environnementale qui, en raison des règles de protection qu’elle préconise et des mécanismes qu’elle met en lumière, apparaît être l’un des moyens les plus efficaces pour lutter contre les fléaux de santé publique actuels et les maîtriser. »
Interview du Pr Belpomme par Hortense Meltz, pour le site pensees-sauvages.com