- vous êtes sur : Prévention
- Combattre la maladie
- Relation entre le medecin et le malade
La relation entre le médecin et le malade
Cette partie s’adresse essentiellement au corps médical, à tous les professionnels de santé, mais également aux malades eux-mêmes et à leur famille.
L'annonce de la maladie
Tout cancer crée un traumatisme psychologique, une fracture venant rompre le cours habituel de la vie. Lorsqu’on est atteint de cancer, il y a l’«avant», le «pendant» et l’«après».
L’annonce de la maladie constitue en elle-même toujours un choc psychologique, une crise existentielle dont on a individualisé différentes phases. La sévérité de cette crise dépend de trois facteurs : la façon dont la maladie est annoncée par le médecin, la gravité ressentie par le malade et ses capacités de résistance psychologique.
Depuis sa création en 1984, l’ARTAC a toujours milité pour que l’annonce de la maladie concerne essentiellement le malade, qu’elle soit toujours faite par un médecin expérimenté et qu’elle soit le reflet d’une vérité, annoncée avec tact.
Le malade prioritaire
Toute maladie est individuelle. Elle concerne principalement la personne qui en est atteinte mais aussi, bien que secondairement, les autres, c’est-à-dire essentiellement les membres de la famille. C’est donc avant tout au malade qu’il faut s’adresser, sans pour autant négliger la famille, qui pourra être informée selon le désir du malade. C’est en effet au malade et à lui seul, de décider si l’annonce doit être faite à lui seul ou en présence de la personne de son choix (conjoint, enfant ou proche).
Qui doit annoncer la maladie ?
L’annonce de la maladie constitue toujours un événement, qui même s’il n’est pas empreint de gravité, doit toujours être considéré comme sérieux, car il engage l’avenir. Le mieux placé est ici à l’évidence le médecin, et plus particulièrement le médecin cancérologue, car seul ce dernier pourra associer à l’annonce du diagnostic, l’annonce de la stratégie thérapeutique proposée. Un tel lien entre le diagnostic et l’existence de possibilités thérapeutiques est primordial, car seul celui-ci permet de juguler l’angoisse du malade et de sa famille. L’essentiel est en effet d’établir lors de la première consultation, une sorte de contrat de confiance entre le malade et le médecin qui le prendra en charge. Et pour cela, il n’y a qu’une seule façon de faire : dire la vérité.
Quelle vérité annoncer et comment la dire ?
Le mot « cancer » fait toujours peur, car encore aujourd’hui il porte en lui une résonance de mort possible. Au moment du diagnostic, personne ne connaît avec précision la stricte vérité, ni le médecin, aussi expérimenté soit-il, ni le malade, qui de son côté découvre parfois la maladie. Car en matière de cancer, au plan individuel, le pronostic n’est jamais définitivement établi. Les experts les plus chevronnés se sont tous un jour trompés. Il y a donc ici trois règles d’or à respecter :
1. Il faut dire la vérité avec les mots choisis
Il est nécessaire de donner au malade les informations qu’il attend. Le médecin doit s’adapter à chaque cas particulier et toujours expliquer la maladie, car il peut toujours le faire, sans nécessairement prononcer le mot « cancer » ou ne le prononcer qu’une seule fois, au moment du diagnostic. En effet, il n’est pas nécessaire de marteler le discours avec le terme « cancer » une fois que le malade a compris ce qu’il en était. Le terme en lui-même amplifie l’inquiétude.
2. Il faut dire la vérité avec espoir
Puisqu’au plan individuel l’évolution précise est inconnue, il faut toujours laisser le bénéfice du doute en faveur du succès. On ne peut gagner une guerre que si, avant de la livrer, on a l’espoir de la gagner. Le discours du médecin doit donc toujours être empreint d’espoir et suffisamment mobilisateur pour motiver le malade à se battre. En particulier, le médecin doit lui dire qu’il ne sera pas seul dans son combat, mais épaulé par lui-même et l’ensemble de l’équipe soignante.
3. Il faut dire la vérité, sans jamais finaliser
Puisque l’évolution précise individuelle est inconnue, et peut faire exception aux statistiques, le médecin ne peut jamais finaliser, en d’autres termes annoncer un pronostic précis. Seule en effet l’évolution au jour le jour dira ce qu’il en est réellement du pronostic. En fait, l’essentiel ici est d’engager le combat le plus rapidement possible, de le faire au maximum des possibilités médicales et de croire au succès. Or pour que le malade se batte, il faut que le médecin croit lui-même en la possibilité de guérison. Toute maladie aussi évoluée soit-elle, doit donc être considérée par le médecin comme potentiellement guérissable.
Le combat contre la maladie
Les traitements proposés sont souvent lourds à supporter. En cas de chirurgie mutilante, celle-ci s’accompagne le plus souvent d’une altération de l’image corporelle et/ou d’une fonction organique. Cette altération est d’autant plus profonde que la mutilation est sévère (anus artificiel, ablation d’un sein, ablation d’un membre) et qu’elle est ressentie comme invalidante, au plan fonctionnel. Elle diffère aussi selon le sexe.
Chez la femme, c’est la féminité qui le plus souvent est d’abord et avant tout concernée. L’ablation d’un sein chez la femme jeune, induit toujours un traumatisme psychologique, qui peut néanmoins être corrigé secondairement par la pose d’une prothèse mammaire, dans des conditions esthétiques le plus souvent satisfaisantes, grâce aux très grands progrès récents de la chirurgie esthétique et réparatrice. De même, l’apparition d’un gros bras peut être souvent minimisée par des soins appropriés. L’ablation des organes génitaux internes (hystérectomie) peut induire un traumatisme psychologique, en raison de la castration qui lui est habituellement associée, lorsqu’elle est réalisée chez la femme jeune en âge de procréer, d’autant plus s’il n’y a pas eu de maternités antérieures. Pour les femmes jeunes, n’ayant pas eu d’enfants et désireuses d’en avoir, une solution est alors d’envisager une adoption. Au demeurant, très souvent ces femmes jeunes comprennent la situation qui est avant tout de sauver leur vie, et compensent leur absence de maternité par des relations plus proches au sein du couple, avec leurs amis, ou au plan professionnel.
Chez l’homme, plus que l’apparence, c’est avant tout la perte de fonction, en particulier sexuelle, et le retentissement professionnel qui sont avant tout à considérer, en cas de chirurgie mutilante. Le retentissement professionnel lié au handicap sera combattu par un reclassement professionnel, grâce à l’action déterminante de l’assistante sociale. Plus difficile à juguler est l’impuissance induite par certaines interventions, tout particulièrement chez les sujets jeunes. Des moyens de suppléance existent, adaptés à chaque cas particulier. Chez de tels sujets jeunes, sans doute conviendra-t-il de peser avec une très grande vigilance le pour et le contre des interventions chirurgicales, conduisant à une impuissance définitive.
La radiothérapie et son cérémonial sont le plus souvent bien supportés. La radiothérapie respecte en effet le plus souvent l’image corporelle. Par ailleurs, le cérémonial auquel elle donne lieu, plutôt que de générer l’inquiétude, le plus souvent rassure, la puissance de la technique médicale et celle affichée de son appareillage ayant la vertu de mettre en confiance et d’apaiser.
Par contre, l’administration des traitements médicaux, et en particulier de la chimiothérapie cytotoxique, ont une part non négligeable de retentissements psychologiques, en raison des effets secondaires qu’ils occasionnent. Parmi ces effets secondaires, la perte des cheveux (alopécie) est sans doute l’inconvénient le plus souvent ressenti comme une altération de l’image corporelle, surtout chez la femme jeune. Il faudra donc que le médecin cancérologue rassure le malade en lui indiquant que l’alopécie est toujours transitoire (les cheveux repoussent toujours), que des moyens seront mis en œuvre pour limiter la perte des cheveux (port d’un casque hypothermique, au cours des séances de chimiothérapie), et qu’en cas d’alopécie sévère, on pourra toujours utiliser une perruque (prothèse capillaire).
Il s’ajoute cependant aux inconvénients précédents la nécessaire compliance aux traitements : répétition des séances de chimiothérapie, à dates et horaires imposés, venues régulières et obligations à l’hôpital ou en clinique, vacances à concevoir en fonction du programme thérapeutique, etc… qui par leur contrainte et le dysfonctionnement qu’ils occasionnent dans la vie quotidienne peuvent générer une certaine tension psychologique.
Enfin la résistance de la maladie aux traitements, avec pour conséquence la perception possible d’une mort prochaine, ou à l’inverse, en cas de guérison apparente, l’angoisse d’une rechute, sont des évènements psychologiques et médicaux qu’il faut gérer au mieux des possibilités, selon chaque cas particulier.
L’annonce de la rechute
Une rechute est toujours possible, que celle-ci soit précoce, dans les deux années suivant le diagnostic, ou tardive, après cinq ans ou plus d’évolution favorable.
Toute rechute est en soi toujours un nouveau traumatisme psychologique, d’autant plus sérieux qu’il est inattendu et que le combat antérieur a été rude, en d’autres termes que le malade s’est investi initialement de façon importante pour combattre sa maladie. Le discours du médecin ne peut plus être ici celui qu’il était, au moment de l’annonce du diagnostic, même s’il doit être encore le plus apaisant et le plus mobilisateur possible.
Tout espoir n’est pas perdu. La guérison est encore possible, même après une rechute.
D’une part le malade traverse une nouvelle crise existentielle qui peut lui faire perdre confiance en son médecin, et d’autre part le médecin traverse la crise exactement inverse : il faut qu’il lutte contre sa propre frustration face à un échec qu’il n’a pas voulu (toute rechute est ressentie comme un échec médical). Il faut qu’il préserve ou récupère la confiance que le malade a placée en lui. La gestion au plan médico-psychologique de toute rechute est donc ici l’apanage des médecins cancérologues les plus éprouvés.
Il faut d’abord et avant tout rassurer le malade dans la mesure du possible, en expliquant comment la rechute est survenue ; puis préciser son importance, en refaisant un inventaire complet de la maladie. Enfin, proposer un nouveau traitement, après avoir fait un bilan soigneux des différentes possibilités thérapeutiques qui peuvent être encore utilisées ou réutilisées, en sachant que ces possibilités s’épuiseront progressivement au fur et à mesure que la maladie évoluera, en d’autres termes qu’on n’arrivera pas à la faire régresser.
Vivre la maladie
L’ « après » n’est jamais plus comme l’ « avant », même lorsque l’évolution est favorable et que la guérison survient. Avec un cancer, la notion du temps n’est plus la même. Le temps subjectif se raccourcit, autrement dit la perception de la mort étant plus prégnante, la durée de vie projetée acquiert une limite. En outre, le rapport aux autres change. Avant l’annonce de la maladie, le cancer était la maladie des autres. Au moment du diagnostic, il devient sa propre maladie et le malade entre alors dans le monde des autres. Seuls les malades, certains proches et sans doute aussi certains médecins, particulièrement expérimentés et à l’écoute de leurs malades, peuvent comprendre ce que cela signifie.
Il existe en réalité deux mondes qui le plus souvent se comprennent difficilement : celui des bien-portants et celui des malades. Pour les bien-portants, la vie est immédiate, spontanée, le plus souvent non réfléchie. Pour les malades, la vie est un combat permanent qui se mérite par l’effort. Elle a donc un prix, et ce prix coûte cher. Elle impose réflexion. Les difficultés ne sont plus seulement celles de tous les jours, mais aussi et surtout celles engendrées par la maladie et les traitements. Le malade se sent donc en sursis, et dans une certaine mesure, exclu du monde des biens portants et donc de la société. Toute famille de malade, tout médecin, tout professionnel de santé doivent comprendre cela. Et ils le comprennent souvent d’autant mieux qu’eux-mêmes sont âgés et donc qu’ils se sont eux-mêmes rapprochés de la mort, donc de leur malade.
Car avec le cancer, le malade pense plus souvent que les biens portants à la mort. La vie de tous les jours prend un nouveau sens. Et c’est ce sens nouveau, cette expérience en réalité pleine de richesses, qu’il faut savoir cultiver : toujours aller à l’essentiel, supprimer de la vie les détails inutiles, profiter au maximum de ceux qui peuvent apporter de la joie, et du bonheur, aussi futiles soient-ils, dans la mesure du possible resserrer les liens avec les membres de sa famille ou de ses proches, accepter l’aide que ceux-ci proposent, assurer l’avenir de ses successeurs par des démarches administratives appropriées, afin que lorsque le moment ultime arrivera, le malade, comme tout être humain, soit prêt, en toute conscience.